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  • zenitudetrans

''Je dialogue seul sur ma vie''


Dites-moi, docteur, pensez-vous qu'il est possible de faire de sa vie un naufrage ? Eh bien, oui, j'en suis l'épave, je vous le dis. Oh, pardon, docteur, je vous pose cette question et je ne vous laisse même pas y répondre. C'est que je sais déjà la réponse en moi-même.


Si je vous racontais ma vie dans les moindres détails, vous seriez vite déprimé, comme je le suis. Je voudrais vous épargner cette lourde tâche, mais je suis ici pour ça, n'est-ce pas ? Pour dire vrai, si je suis ici, c'est pour savoir si je suis fou. Après tout, si j'y pense bien, peut-être un peu, ne croyez-vous pas ? Ne suis-je pas devant vous à me parler tout seul ? Surtout, ne me répondez pas. J'ai lu quelque part que le dialogue avec soi-même était un signe d'intelligence. Peu importe, docteur, je ne vais pas vous mentir, j'ai un fou dans ma tête, le pauvre, il se prend pour un homme. Il influence mes rêves et mes désirs, il endoctrine mes pensées les plus intimes, il me catéchise pour maudire cette société normative, il m'implore d'agir pour sa liberté d'expression de genre. Le fou, c'est lui, mais je le porte en moi, sous cette peau, il est moi, ce fou. Je le connais plus que moi, ce petit homme discret et secret, je me plais à l'écouter dans sa folie. S'il était possible pour vous de le voir, il est beau dans son miroir avec ses habits d'homme. Vous pourriez aussi voir dans ses yeux la tristesse d'être incomplet en tant qu'homme.


Pour être heureux dans cette courte vie qui s'écourte, je me dois d'être son avocat du diable pour plaider sa cause, le grand malaise que cet homme a de vivre dans cette enveloppe de femme. Elle le tourmente, elle le tue à petit feu.


Poursuivre sa vie sans être autre que l'autre qui m'habite, vivre en me détachant de lui, ce n'est pas la vie que j'espère dans le futur. La mort m'appelle, docteur, chaque jour elle me semble moins affligeante, en elle la souffrance prendrait fin.


Mon autre essence est un secret honteux. Hélas, à cause de ce grand secret, j'ai passé de longs moments auprès de l'amour en inconnu incompris. Vivre à côté du grand amour comme un solitaire en couple.


Quoique je ne pardonne pas à Dieu d'avoir été distrait dans ma conception, si Dieu existe dans sa bonté, il ne peut m'en vouloir dans ce désir de réparer son erreur. (rire jaune) À ce Dieu, je suis infidèle depuis mes 15 ans. Je dirais même que parfois je doute de son existence. Si je suis ici, en résumé, c'est pour que vous m'aidiez à me rendre ce que Dieu a fait d'incomplet. En ce bas monde, vous seul avez ce pouvoir. Ne déplaise à Dieu.


La séance de ce jour se termine ainsi. Je note la date de la prochaine rencontre sur un bout de papier que je mets dans ma poche.


Extrait du journal personnel (souvenirs) de Samuel

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