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  • zenitudetrans

L'HISTOIRE DE MA NAISSANCE SERA LE CINÉMA DE MA VIE.


J'ai toujours su que j'avais été adopté, c'est plutôt vers l'âge de quatre ou cinq ans que je vais vraiment en prendre conscience. Selon les dires de ma mère, je posais beaucoup de questions sur l'histoire de mon adoption. La version demeurait toujours la même.


Ma mère me racontait : « ton frère est venu au monde comme un petit miracle, parce qu'il ne voulait pas rester dans mon ventre. Je devais rester couchée toute la journée sans rien faire. Pour ta sœur, ce fut la même chose, seulement, quelques jours après sa naissance, elle est partie rejoindre les anges au ciel. Moi et ton père voulions une petite fille, je t'ai désiré pendant un an, comme si je t'avais porté dans mon ventre, et tu es arrivé dans notre famille. »


À cet âge-là, cela devait être aussi amusant à entendre qu'un conte de fées. De plus, j'en étais le personnage principal. Toujours selon ma mère, je demandais tous les soirs avant de dormir qu'elle me raconte mon histoire.


Je n'ai pas de souvenir d'avoir été très perturbé par cette situation jusqu'à l'âge de douze ans. Dans ce chapitre de mon adolescence, je suis un peu sombre. Je suis adepte des films d'horreur ou de drames. Dans une scène de film, une jeune fille enceinte de 15 ans s'avorte elle-même dans les toilettes de son collège. Son petit copain venait de rompre parce qu'il ne voulait pas de l'enfant, et elle craignait que ses parents la rejettent aussi.


Cette scène va être un déclencheur pour moi et restera lourde de conséquences pour le reste de mes jours. Une succession de questions viendra me hanter du genre : "Qui sont mes parents qui m'ont abandonné ?" "Pourquoi ?" Bien sûr, mes parents n'avaient pas de réponse rassurante puisque tout était anonyme. Ma mère m'a montré les papiers d'adoption. Il y avait mon nom donné par ma mère biologique, "Diane". Je n'avais pas de nom de famille, née de mère et de père inconnus. Il est clair qu'à cette époque, les retrouvailles étaient déconseillées pour la réputation des parents biologiques.


Je vivais une certaine frustration de ne pas en savoir plus, ma mère voyait bien que cela avait un impact majeur sur mon bien-être intérieur. Mon adoption venait d'ouvrir une brèche en moi. Je ressentais cet arrachement à ma famille naturelle, un abandon, un rejet qui faisait naître une fragilité. Ma mère m'avait pourtant dit que ma mère biologique n'avait sûrement pas eu le choix de me donner à l'adoption, que cela avait dû être très dur pour elle et qu'elle ne m'oublierait jamais.


Le questionnement qui va suivre va être la genèse de ma transidentité, un long parcours sur la recherche du "qui suis-je ?"


J'ai d'abord pensé que le sentiment de me sentir différent des autres venait forcément de mon adoption. "Est-ce de là que me vient ce radar extrêmement sensible à percevoir toute forme de rejet ou d'abandon venant des autres ?" "Est-ce pour cela que je ne m'attache pas facilement aux autres par peur d'un rejet ou d'un abandon potentiel ?" "Pourquoi ai-je cette sensation étrange d'être quelqu'un d'autre à l'intérieur de moi que l'on ne peut pas aimer ?"


Je pense connaître un bout de réponse : J'abandonne avant que l'on me rejette parce que l'on ne peut pas aimer quelqu'un qu'on a abandonné. Pour moi, c'était la logique même.


Souvent, quand j'étais en colère contre ma mère, je lui disais : "laisse-moi tranquille, tu n'es même pas ma vraie mère." Cela devait lui faire très mal. Elle devait m'aimer beaucoup pour me pardonner de lui dire ça. Elle devait comprendre plus de choses que moi. Je sais que pour ces dures paroles, elle a déjà pleuré.


Je me demande si j'étais né dans ma famille biologique si j'aurais eu cette perception d'être une autre personne ? Je me demande pourquoi ma mère naturelle n'a pas eu le courage de faire comme cette jeune fille, dans le film, d'un coup de ciseaux me faire disparaître ?


Ces derniers propos vous paraissent peut-être durs, pas à moi. J'ai toujours en tête cette portion de l'histoire de mon adoption, celle où ma mère dit : "on voulait une fille." Elle me le répète depuis douze ans. J'ai compris, je ne vais pas décevoir, même si le fait de devoir vivre comme une fille me trouble. Il y a quelque chose à l'intérieur de moi que je ne peux pas décrire avec des mots, les mots n'existent pas. Mes parents ignorent tout de l'être que je porte, mais il transpire par tous les pores de ma peau. C'est sûrement l'odeur de la transpiration de cette entité qui répugne les autres. Alors je vis avec ce secret, je me fais le plus discret possible, je deviens l'ombre de mon ombre par phobie du rejet. Celui-ci n'est peut-être qu'une chimère, je préfère ne pas le provoquer, je chéris la solitude. Dans ma solitude, je peux être qui je veux sans décevoir personne.


Je citais souvent dans ma tête et à qui voulait l'entendre : "je suis venu au monde seul, je viens de nulle part, je vais mourir seul, sans personne à mes côtés." C'était un appel au suicide, je voulais mourir, symboliquement abandonner comme à ma naissance. Je vous le répète, j'étais assez sombre à ce moment-là. Il n'y a pas si longtemps que ce morne discours a disparu.


Il y avait autre chose dans ma peur de décevoir mes parents, je me sentais redevable pour mon adoption, ils m'avaient donné une partie de leur vie, m'avaient toujours considéré comme leur enfant biologique. Je ne peux pas dire que j'ai senti une différence d'avec mon frère, c'est à mes parents biologiques que je vouais ma haine.


Extrait du journal personnel (souvenirs) de Samuel

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