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  • zenitudetrans

''Sujet délicat docteur''


« JE N'AIME PAS LE SEXE, DOCTEUR. »


Je l'ai presque hurlé dans son cabinet.


« C'est très embarrassant pour moi de vous parler de ce sujet. »


Je n'en avais pas vraiment envie, parler de mon intimité sexuelle était difficile, mais je savais que c'était un passage obligé pour la suite de mon évaluation de la dysphorie de genre.


« Quand je fais l'amour, non ce n'est pas de l'amour, je décrirais cet acte intime comme de la violence pour mon esprit masculin, une violence psychologique. Ce corps féminin ne peut pas être en harmonie avec mon ressenti d'homme. »


Je prends une grande pause, je respire profondément, je sens les larmes venir. J'apprécie que le Dr. Nguyen respecte ce temps de silence sans intervenir.


« Je me laisse imposer cette violence psychologique parce qu'il le faut, parce que pour la majorité des gens, ce n'est pas normal de ne pas aimer le sexe. »


Je ne peux plus retenir mes larmes, mon cœur se serre. Dr Nguyen me tend un mouchoir.


« Prenez votre temps, Samuel. »


« Je faisais l'amour par obligation morale du couple, je ne voulais pas perdre ma conjointe. Sincèrement, je l'aime, ce n'est pas là que se situe mon problème. Je sais que je lui demande beaucoup ces derniers temps par mon abstinence. Six mois sans sexe et je ne m'en sens pas plus mal. »


Pause. Je demande à aller griller une cigarette à l'extérieur, j'ai besoin de ce temps d'arrêt pour me calmer un peu.


« Je déployais mon amour pour elle et les filles de différentes façons pour combler le manque que je lui imposais. Je lui aurais tout donné, même ma chemise. Je prenais tout en charge pour qu'elle ait le moins possible à faire dans la maison et auprès des filles. Malheureusement, ce n'était pas suffisant comme preuve d'amour pour elle. Pour elle, un couple sans sexe se réduit à de l'amitié. Je sais que mon sentiment pour elle était au-delà de l'amitié, je sais faire la différence entre amour et amitié. Que pensait-elle en me disant cela ? Je n'ai jamais trouvé les mots ni le courage de lui dire que le toucher de l'amour sur la peau de ce corps était douloureux. J'étais amer, choqué de l'entendre me dire : « Ce n'est pas normal ta baisse de libido, va voir un docteur pour prendre des hormones (rire jaune). Ce ne sont pas les mêmes hormones auxquelles nous pensions. »


« Elle vous avait ouvert une porte à ce moment-là, l'avez-vous franchie ? »


« Non, jamais, j'avais peur de la perdre, comme je vous l'ai dit précédemment. Je n'avais aucune idée de comment lui faire comprendre que c'est mon corps que je n'aime pas, que mon esprit est une entité à part, et que les deux n'arrivent pas à se rejoindre dans le même corps. Comment expliqueriez-vous qu'en vous coexistent deux personnes de genre différent sans passer pour un fou ? Je ne suis pas sûr qu'elle aurait compris ma frustration liée aux touchers de certaines parties de mon corps, que je désire différentes : il devrait y avoir un pénis à la place de ce clitoris et ces seins devraient être des pectoraux. »


Je prends encore une pause le temps d'une réflexion.


« Selon elle, notre sexualité est platonique, dans le noir le plus complet, sans spontanéité, planifiée de préférence. J'ai besoin de me préparer mentalement aux ébats amoureux. Nous avons des relations intimes sans grandes fantaisies, un rituel sans grandes innovations. J'avoue que moins longtemps les ébats durent, mieux je me porte. Après, chacun de son côté pour dormir. Je suis assez d'accord avec elle, notre sexualité n'est pas très palpitante, j'en suis le grand responsable. »


« C'était toujours elle qui faisait la demande pour une relation sexuelle ? »


« Oui. »


« Vous ne la désiriez pas, Samuel ? »


« Si, j'aime le corps des femmes, je le trouve beau. C'est mon esprit masculin qui aime le corps de la femme, qui le désire. Mon corps féminin est une barrière à l'expression de mon essence masculine. À travers ce corps de femme, c'est impossible de jouer le rôle de l'amant et d'être aimé comme je le devrais. Je sais que c'est absurde, l'amour est un sentiment, mais c'est avec le corps et l'esprit qu'on l'exprime. Chez moi, les deux ne sont pas au même diapason. »


« Combien d'années êtes-vous ensemble ? »


« À l'automne, nous comptons 17 chandelles. »


« Selon vous, elle vous aime encore ? »


« Difficile à dire, mais je l'espère de tout mon cœur. Faudrait lui demander à elle. Depuis deux ans, j'ai plutôt l'impression qu'elle me fuit par le travail. On se croise plus souvent qu'autrement dans le cadre de la porte. Elle travaille sur les chiffres le soir et les week-ends. Elle accepte toujours du travail supplémentaire lors de ses week-ends off. Je suis pratiquement toujours tout seul. C'est assez révélateur, je crois qu'elle a trouvé cette façon de se détacher de moi. »


« La prochaine rencontre, Samuel, j'aimerais la faire avec vous et votre conjointe. »


« D'accord, si c'est nécessaire. »


Extrait du journal personnel (souvenirs) de Samuel

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